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INTRODUCTION

Dès 1993, après quelques études ponctuelles, Humbert Jacomet a défini de façon définitive les caractères de l'iconographie de saint Jacques et son évolution au fil du temps. Après avoir relu notamment son étude (*) intitulée " Saint-Jacques : apôtre et pèlerin - Proximité et distance ", nous avons constaté qu'il n'y a rien à modifier à son propos, et nous nous sommes demandé s'il était raisonnable d'écrire encore sur ce sujet.

Ayant réuni un corpus de 400 représentations de saint Jacques dont toutes les photographies sont présentées ici, et disposant d'un logiciel de traitement de données puissant, nous avons vaincu nos réticences et avec la plus grande modestie, avons décidé de présenter cette étude qui, faute d'apporter beaucoup d'éléments nouveaux, aura quand même (nous l'espérons) le mérite d'apporter des preuves supplémentaires à l'étude d'Humbert Jacomet et, peut-être, d'éclairer quelques points particuliers à cette province fortement typée qu'est la Bretagne.

Nous nous excusons du titre un peu pompeux que nous donnons à cette étude. Nous avons voulu faire court mais nous n'avons pas la prétention de mettre avec elle un point final à l'étude de l'iconographie de saint Jacques en Bretagne. D'ailleurs, Humbert Jacomet vient de nous communiquer aimablement (décembre 2006) son étude comparant pour les XIVe et XVe siècles les statues de Galice et de Bretagne (**). Nous nous sommes efforcés d'en tenir compte.

Notre étude se poursuivant jusqu'aux premières années du XXIe siècle, nous montrerons comment les Bretons se représentent saint Jacques dans le cadre du renouveau du pèlerinage à la fin du XXe siècle et au début de celui-ci.

Les représentations du saint sont nombreuses en Bretagne, et elles l'ont été plus encore si l'on tient compte, d'une part, des destructions consécutives aux guerres, aux prescriptions du concile de Trente et à la Révolution et, d'autre part, des disparitions liées au " marché de l'art " à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Il paraît utile de développer quelque peu les causes de ces disparitions :

Les guerres :

Nous pouvons répertorier trois guerres qui ont touché la Bretagne : La guerre de succession (dans le cadre de la guerre de Cent Ans), la guerre de la Ligue et la seconde guerre mondiale.

Au XIVe siècle, la guerre de succession opposant la famille de Blois à celle de Penthièvre a duré une vingtaine d'années (1341-1364). Les ducs ont ensuite su à peu prés se tenir à l'écart du conflit opposant les rois de France et d'Angleterre. Ce conflit a entraîné la ruine de nombreux édifices religieux et G. Mollat (***) a publié les extraits de nombreuses bulles papales accordant des indulgences " a ceux qui, par leur travail ou leurs dons, contribueront à restaurer [tel ou tel édifice] ". Nous ignorons ce qu'il est advenu du mobilier de ces édifices, mais une partie en a certainement était détruite ou pillée. Y avait-il d'autres représentations de saint Jacques que les quatorze que nous avons répertoriées ? Le département voisin de la Manche (****), peut-être moins touché par les combats, en répertorie à lui seul une quinzaine, mais certaines sont de la fin du siècle et nous ne pouvons pas nous prononcer.

Au XVIe siècle, la guerre de la Ligue, plus brève (1589-1593) a sans aucun doute entrainé des destructions plus nombreuses compte tenu de l'âpreté des affrontements et de la destruction des " idoles " par les protestants. Il y avait sans doute là encore des représentations de saint Jacques et la Haute Bretagne et le Nantais en ont particulièrement souffert. Nous ne pouvons évidemment avancer aucun chiffre.

Le concile de Trente :

Au XVIIe siècle. La guerre de la Ligue avait été précédée par le concile de Trente (1545-1563) définissant les règles de la réforme catholique, aménageant la liturgie et encadrant sévèrement le culte des statues et autres représentations. Sans doute retardée par la guerre, l'application des prescriptions du concile ne fut semble t'il mise en place en Bretagne qu'au début du XVIIe siècle. Les évêques (voir un exemple en annexe 1) interdirent la mise en place de nouvelles statues non approuvées par eux, les coiffures et les représentations d'animaux, en précisant toutefois qu'ils étaient autorisés si nécessaire à la compréhension " de quelque histoire ecclésiastique ou sacrée ". Enfin, les statues en mauvais état, impossibles à restaurer, devaient être brulées si elles étaient en bois ou " enfouies profondément dans les cimetières " si elles étaient en pierre. Encore actuellement, des fouilles remettent au jour des statues ainsi enfouies mais les statues brûlées sont à jamais disparues.

Il semble par contre que saint Jacques n'a été atteint par l'abolition du chapeau qu'à partir du XVIIIe siècle, époque à partir de laquelle seulement un tiers à la moitié des représentations sont coiffées…ou arborent leur chapeau dans le dos ou à la main.

La Révolution :

Fin du XVIIIe siècle. C'est surtout en Haute Bretagne et dans le Nantais que les destructions ou détériorations ont été les plus nombreuses. On connaît certaines détériorations volontaires " sanctionnant " des actes de chouannerie (Plouasne, Guitté, Locquirec par exemple). En Basse Bretagne, les fidèles réussirent assez souvent à mettre édifices et représentations des saints à l'abri mais nous connaissons cependant une quinzaine de porches qui avaient perdus leurs statues à l'époque et plusieurs statues du saint " isolé " disparues dès le début du XIXe siècle.

La seconde guerre mondiale :

XXe siècle. La Bretagne a été témoin de nombreux combats et c'est surtout les vitraux qui ont le plus souffert. Leur mémoire n'a pas pour autant disparu car une documentation abondante existe toujours, et certains ont pu être restaurés.

Le marché de l'art :

XIXe et XXe siècles. Nous avons des traces de ce marché dès le milieu du XIXe siècle et encore plus au milieu du XXe siècle où les recteurs, dans le but louable d'entretenir leurs églises, vendirent de nombreuses représentations de saint Jacques (entre autres saints, évidemment). D'autres statues furent aliénées ou déplacées par des propriétaires privés. Nous avons connaissance de certaines de ces transactions (*****) et parfois même des photographies des statues disparues, présentées ici.

Finalement, nous avons retenu pour cette étude les 400 représentations de saint Jacques pour lesquelles nous disposons de photographies exploitables. La récapitulation de ces représentations par nature et par époque, d'une part, les vêtements du saint et les matériaux utilisés, d'autre part, figurent en annexe 2. Malgré les disparitions évoquées plus haut, ce corpus nous paraît suffisant pour risquer une approche statistique de ce qui existe de nos jours dans les différents domaines étudiés.

Après avoir présenté les éléments de l'iconographie avec leur importance respective, nous essaierons de présenter synthétiquement, dans un ordre chronologique tenant compte des spécificités locales et de certaines caractéristiques particulières, l'évolution de l'image de saint Jacques vue par les Bretons.

Des modifications notables apparaissent au XVIIIe siècle, ce qui nous amènera à présenter deux chapitres : du XIVe au XVIIe siècle et du XVIIIe à nos jours.

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(*) Publiée par l'association des amis de Rocamadour dans " L'image du pèlerin au Moyen Âge et sous l'ancien régime

(**) " Humbert Jacomet : " Una aproximacion a la iconografia de Santiago en la Galicia de los siglo XIV y XV " in Os Capitulos da Irmandade, peregrinacion y conflicto social en la Galicia del siglo XV, Xunta de Galicia, octobre 2006

(***) G. Mollat: " Les désastres de la guerre de Cent Ans en Bretagne " In Annales de Bretagne, vol.26, 1910-1911, p.175 et suivantes). Voir également Henri DENIFLE : " La désolation des Eglises, Monastères et Hôpitaux en France pendant la guerre de Cent Ans " tome 1 Documents relatifs au XVe siècle, Paris, 1897) qui cite (par exemple) 90 églises incendiées dans l'évêché de Saint-Malo.

(****) " Images des Saints Jacques dans la Manche " Collection patrimoine, Lutèce impression, 2003

(*****) Signalées dans le livre de référence